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27 septembre 2010 1 27 /09 /septembre /2010 13:39

Approche ergonomique de la souffrance des élèves

 

par Nicole Delvolvé[1]

 

 

Afin d’aider tous les enfants et adolescents à être des élèves heureux et donc plus tard des adultes bien dans leur vie, il est urgent de traiter les causes des souffrances qui s’expriment dans le monde scolaire.

La première question à laquelle il faut donner une réponse est la définition du concept de souffrance car la polysémie de cette notion rend difficile son analyse et donc son contrôle. Les sens différents attribués au concept de souffrance n’ont-ils pas leur origine dans les différents cadres théoriques qui s’en préoccupent ?

S’appuyant sur les bases biologiques et psychologiques du fonctionnement de l’être humain, souffrance est associée à stress, fatigue, angoisse, énervement, peur, maladie, dysfonctionnement biologique. Souffrance cardiaque. Souffrance respiratoire. Etc.

Se référant au comportement du sujet, souffrance est associée à fuite, décrochage, violence, rejet, refus, démotivation, difficultés éprouvées dans la situation vécue qu’elle soit scolaire ou autre …..

Mais que l’on fasse référence aux bases fonctionnelles biologiques et psychologiques de l’être humain ou à leurs expressions comportementales les causes de la souffrance sont à rechercher dans la notion de conflit entre l’individu, ses réalités propres, biologiques, cognitives, psychologiques, sociales - ce même individu étant évidemment porteur de son histoire personnelle - et ce qui lui est demandé de vivre. Il doit vivre et grandir dans un monde fait de nombreuses réalités tellement multiples, hétérogènes et instables qu’il serait utopique de penser pouvoir les inventorier de manière exhaustive et les traiter toutes.

Face à ces réalités complexes que propose l’ergonomie ?

L’ergonomie (ou Human Factors) est la discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des interactions entre les humains et les autres composantes d’un système… en vue d’optimiser le bien-être des personnes et la performance globale des systèmes. Les praticiens de l’ergonomie, les ergonomes, contribuent à la planification, la conception et l’évaluation des tâches, des emplois, des produits, des organisations, des environnements et des systèmes en vue de les rendre compatibles avec les besoins, les capacités et les limites des personnes.(IEA, 2008)

L’ergonomie propose de mieux penser l’équilibre entre l’individu et son environnement, tout en étant consciente des limites auxquelles elle se heurte face à certains aspects qui définissent l’individu à un moment donné. Impossible de reconstruire une histoire personnelle très douloureuse mais par contre donner des outils à l’élève pour qu’il avance quand même vers une vie heureuse, c’est là l’ambition et les limites affichées de l’ergonomie appliquée à la situation scolaire. Force est de refuser que l’école soit elle-même génératrice de souffrance. Et pourtant ! Combien d’adultes ignorent qu’un diagnostic public « d’élève en difficultés » est une souffrance insurmontable pour certains jeunes. Tous n’ont pas la capacité de continuer à donner du sens à leur vie d’élèves quand leurs journées sont jalonnées par des mauvaises notes ou des remarques négatives sur leurs « mauvais » comportements. La résilience n’est pas un don distribué à chacun à la naissance !  

L’ergonomie définit  le concept de souffrance comme le résultat sur le sujet opérateur du conflit qu’il doit supporter entre ce qu’il est (états biologique, affectif, cognitif, social,…, histoire personnelle) et ce qu’on lui demande de faire.

Les notions de compatibilité ou d’adéquation ou d’équilibre sont les objectifs visés par l’ergonome. Quand il y a conflit entre ce qu’est l’opérateur du point de vue biologique, psychologique, cognitif, conatif, et les conditions de travail auxquelles il doit répondre du point de vue des relations humaines mais aussi par rapport aux organisations temporelles, matérielles, économiques, c’est souffrance pour l’opérateur. Quand il est demandé à un élève d’apprendre alors que son cotexte de vie ne lui permet pas de satisfaire ses besoins biologiques ou affectifs alors il n’arrivera plus à apprendre. L’expression première de ce conflit pourra être le repli sur soi, le refus de s’investir, l’absentéisme, la violence, des troubles psychosomatiques, etc… Ces profils comportementaux sont le plus souvent traités de manière curative alors que l’ergonomie propose une démarche préventive.

L’incompatibilité entre les deux éléments de l’interaction ( éléve et contexte ) crée un conflit qui engendre de la souffrance avec sa kyrielle d’effets secondaires.

Sur quelles bases l’ergonomie s’appuie-t-elle pour prévenir le plus possible les dysfonctionnements observés afin de créer cet équilibre reconnu comme extrêmement fragile ? Réaffirmons encore qu’elle ne prétend pas traiter les douleurs que certains élèves portent en eux en raison d’histoires personnelles délétères mais elle affirme que l’Ecole, au non de l’égalité des chances, n’a pas le droit de les renforcer.

Il est donc fondamental que l’Ecole - définie de manière globale -  c’est à dire en impliquant tous les acteurs des temps scolaires, périscolaires et extrascolaires, s’assure que chaque élève puisse le mieux possible satisfaire ses besoins fondamentaux. L’équilibre donc le conflit sera d’autant mieux contrôlé que les besoins biologiques, affectifs, cognitifs et d’outils pour apprendre, seront satisfaitS.

 Cet objectif immense de préserver l’équilibre de la situation élève-travail engage plusieurs projets. Les investir tous serait la posture la plus efficace pour préserver le bonheur de l’élève et son avenir d’adulte :

 

1- Éviter de mettre des élèves en situation de souffrance, c’est leur permettre de satisfaire leurs besoins biologiques

 

Quelques questions à traiter d’urgence :

Ont-ils tous déjeuner le matin avant de commencer leur matinée, qu’ils soient tout-petits en école maternelle ou très grands au lycée ?

Ont-ils tous dormi suffisamment pour faire avec efficacité leur métier d’élèves ? Les temps scolaires et les rythmes de l’élève, un enjeu qu’il est urgent de régler pour moins de souffrance dans les situations scolaires.

Ont-ils tous des espaces pour faire de vraies pauses pendant leurs longues journées de classe ou de cours ?

Qui leur apprendre à faire la pause qui leur permettrait  de recréer des capacités pour une efficacité de leur travail scolaire : pourquoi se reposer est-il associé à un manque de conscience du travail et de ses exigences?  Pourquoi n’y a-t-il pas d’espaces dans les établissements scolaires pour satisfaire cette ambition ?

Etc.  

 

2- Éviter de mettre des élèves en situation de souffrance, c’est leur permettre de satisfaire leurs besoins psychologiques.

 

Ne pas avoir peur de se tromper !

Comprendre que c’est normal de ne pas savoir quand on est en train d’apprendre ! Trouver du plaisir à apprendre !

Pourquoi toujours la note alors qu’elle enfonce celui qui a une mauvaise note dans l’idée que la réussite scolaire c’est pour les autres?

Etc.

 

3- Éviter de mettre des élèves en situation de souffrance, c’est  leur transmettre des outils pour apprendre. 

 

Pourquoi la France n’apprend-elle pas aux élèves à apprendre alors que les directives européennes l’y invitent?

Pourquoi continuer à véhiculer l’idée que le cerveau est un organe du corps humain qui aurait des réalités fonctionnelles strictement personnelles ? Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que dans une même situation chaque individu réagit différemment. Par contre les neuroscientifiques ont depuis longtemps démontré comment fonctionne la mémoire humaine et quelles conditions doivent être respectées pour apprendre c'est-à-dire construire de nouvelles traces mnésiques en d’autres termes de nouvelles connaissances ?

Pourquoi continue-t-on de faire le diagnostic d’élèves « intelligents » et d’élèves « nuls » ? Bien sûr si on attend trop longtemps pour lever le verrou cognitif ou conatif qui l’empêche d’apprendre, oui il sera « irrécupérable » et les adultes seront confortés dans leur propre prévision ! 

 

 

4-Éviter de mettre des élèves en situation de souffrance, c’est aussi répondre à d’autres questionnements :

 

Pourquoi leur donner encore du travail à faire en dehors des temps scolaires alors qu’ils n’ont pas tous, les temps, les espaces, la liberté, de le faire?

 

Pourquoi ignorer le lien indissoluble entre enseignant et élève ? Améliorer les conditions de vie et de travail des élèves pour améliorer les conditions de travail et donc le bien être des enseignants. Améliorer les conditions de vie et de travail des élèves pour une meilleure perception par l’enseignant de l’efficacité de son travail et des ressentis qu’il exprime par rapport au plaisir d’enseigner

Améliorer les conditions de vie et de travail des élèves pour une réelle harmonie dans les établissements scolaires.

 

 

En conclusion

L’ergonomie est une science humaine qui refuse l’idée du bon ou du mauvais élève, du bon ou du mauvais enseignant, du bon ou du mauvais établissement.

Elle engage toute la communauté éducative à rechercher le meilleur compromis possible entre facteur humain et contraintes contextuelles pour éviter la souffrance au travail de chacun, enseignants, élèves et les autres

 

 

 

Bibliographie

 

Damasio, A.R. (1995) L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Ed. O.Jacob.

 

Delvolvé, N. (2004), Mon enfant, cet élève. Le guide pour tous les parents, Ed. Milan.

 

Delvolvé, N. (2005) Tous les élèves peuvent apprendre. Approches psychologiques et ergonomiques des apprentissages scolaires. Ed. Hachette Education.

 

Gardner, H, (2008), Les intelligences multiples, Ed. O.Jacob

 

Delvolvé, N. (2010) Stop à l’échec scolaire. L’ergonomie au secours des élèves, Ed. De Boeck, Bruxelles.

 

 

 



[1] Enseignant Chercheur IUFM Midi Pyrénées

nicole.delvolve@toulouse.iufm.fr

Tel 05 62 25 20 62

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Présentation

  • : Ergonomie, Ecole, Efficacité
  • : Nicole Delvolvé était enseignant chercheur à l'Université de Toulouse. Elle est spécialiste en ergonomie appliquée aux situations d'apprentissages scolaires et participe à l'aménagement des meilleures conditions de travail possible dans les établissements scolaires pour la réussite de tous. Temps, espaces, pédagogies, didactiques. nicole .delvolve@gmail.com
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